La route sera longue – Parler autrement de la nourriture d’hôpital

Stephanie Cook est directrice des services d’alimentation et de nutrition du district de santé de Regina Qu’Appelle. Passionnée d’alimentation et de nutrition, elle mène depuis vingt ans des projets en vue d’améliorer le bien-être nutritionnel : programmes pour les enfants en surpoids, élaboration de pratiques de saine alimentation et lutte à la malnutrition chez les patients hospitalisés.

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On a du mal à cerner le moment où la nourriture d’hôpital – jadis pilier du traitement et du rétablissement, et considérée comme saine et thérapeutique – est tombée si bas dans l’opinion publique. Je soupçonne que le déclin s’est fait peu à peu, quand les avancées de la médecine et de la technologique ont commencé à supplanter la nourriture en tant qu’élément thérapeutique et poste budgétaire de première importance. Je ne peux pas jurer ce que Ringo Starr avait en tête quand cette photo a été prise en 1964, mais à son expression, je pense qu’il n’avait pas une très haute opinion de ce qui se trouvait dans son assiette. Plus de cinquante ans plus tard, on voit que les gens sont encore plus insatisfaits de la nourriture d’hôpital, et ceux qui la consomment ne se gênent pas pour donner leur avis. N’importe quel patient armé d’un cellulaire peut prendre une photo de son repas et l’afficher en ligne, ce qui déclenche parfois une véritable tempête médiatique sur la qualité déplorable de l’alimentation à l’hôpital.

Puis je me suis demandé si la nourriture était vraiment aussi mauvaise ou sa réputation si entachée par la rengaine habituelle que nous n’ayons jamais envisagé qu’il puisse en être autrement?

Moi aussi, j’ai cru longtemps que la nourriture d’hôpital était infecte. Quand j’étais diététiste clinique, j’opinais du bonnet, avec le regard sympathique de celle qui sait, quand le personnel blaguait sur les repas servis à l’hôpital et que les patients s’en plaignaient. Qu’est-ce que je pouvais y faire? On est à l’hôpital, un établissement public doté d’un budget d’alimentation qui rétrécit comme peau de chagrin et d’un personnel de plus en plus réduit dans les cuisines. Il est évident que la qualité en a pris un coup quand la vraie cuisine maison a été remplacée par des aliments préemballés fournis en sous-traitance et de l’équipement sophistiqué pour les réchauffer. Comment viser autre chose que la médiocrité? Puis je me suis demandé si la nourriture était vraiment aussi mauvaise ou sa réputation si entachée par la rengaine habituelle que nous n’ayons jamais envisagé qu’il puisse en être autrement? Se pouvait-il que tout effort en vue d’améliorer la qualité passe inaperçu, étouffé par le discours ambiant? J’ai alors noté que bien des patients finissaient leur assiette et demandaient de plus grosses portions. Compte tenu du fait que nous sommes à l’hôpital, un lieu où les gens sont malades, loin de leur maison et de leur famille, dans un milieu étranger et parfois angoissant, je voulais savoir : la nourriture est-elle vraiment aussi mauvaise?

Force est d’admettre que les repas servis à l’hôpital ne ressemblent pas vraiment à ceux de nos grands-mères. Mais si on pense à tout ce que cela implique – servir des patients qui vont mal pour la plupart, qui ont chacun leurs préférences alimentaires, qui viennent de cultures différentes et qui ont des besoins nutritifs différents –, la tâche n’est pas mince! Alors quand on met les choses en perspective, la nourriture d’hôpital mérite-t-elle les tollés qu’elle soulève? Ou est-ce seulement une prédiction qui se réalise parce qu’on y croit tellement? Si on s’attend à de la mauvaise nourriture, il y a de fortes chances qu’on la trouve mauvaise.

La question est revenue sur le tapis dans mon district de santé, quand le groupe de travail canadien sur la malnutrition a récemment noté à quel point ce problème est fréquent dans les hôpitaux et identifié clairement les nombreux obstacles qui empêchent les patients d’obtenir les nutriments dont ils ont besoin. Nous avons décidé d’examiner ce que nous servons et d’évaluer si la nourriture est si mauvaise que nous créons à notre insu un autre obstacle qui empêche les patients de bien se nourrir.

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Nous avons dressé un plan pour le savoir. La première étape a été de recueillir l’avis du personnel. Sans surprise, la réaction a été négative – la nourriture n’était pas appétissante, manquait d’éléments nutritifs et de qualité. À la deuxième étape, nous avons fait un test à l’aveugle pour obtenir un jugement objectif. Nous avons annoncé dans tout l’hôpital que nous voulions tester de nouveaux produits pour la cafétéria. Le personnel a été invité à goûter six repas principaux et à coter son niveau de satisfaction. Nous avons fini par tester 352 portions en tout, ce qui nous a appris à ne plus jamais sous-estimer le pouvoir d’une dégustation gratuite! Ce que nous n’avons pas dit aux participants, c’est que les six repas étaient servis couramment à nos patients. Les résultats ont été étonnants : plus de 85 % des participants ont donné aux repas la cote bon, très bon ou excellent pour tous les indices de qualité (odeur, saveur, apparence, côté santé et acceptabilité générale). Qui plus est, plus des deux tiers des employés ont dit qu’ils achèteraient ces plats s’ils étaient servis à la cafétéria. Oui, ils étaient même prêts à payer pour les repas que nous servions à nos patients!

Nous avons eu bien du plaisir à diffuser ces résultats dans notre district et à l’extérieur. Mais l’élément le plus important a été sans contredit de transmettre les résultats aux employés de nos services alimentaires. L’évaluation positive a permis de valider ce qu’ils savaient déjà : ils préparent et servent chaque jour de bons aliments, et ils sont fiers de ce qu’ils mettent dans leurs assiettes.

Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire mieux. De fait, l’écoute de nos patients a été un élément clé de l’accueil positif des aliments. Les patients ont suggéré d’ajouter au menu plus de plats réconfortants préparés sur place avec des ingrédients frais. Cela semble une commande impossible, surtout dans des hôpitaux qui utilisent beaucoup d’aliments préparés. Mais plusieurs petits changements peuvent faire une grosse différence sans trop compliquer les choses. Ainsi, dans mon district de santé, nous avons récemment cessé d’acheter des soupes toutes faites pour servir des soupes maison. Nous avons choisi la soupe parce que c’est réconfortant, ça convient à la plupart des diètes thérapeutiques et ça plaît à quasiment tout le monde. Nous en avons aussi profité pour améliorer la teneur nutritive en ajoutant de gros morceaux de légumes, des fines herbes fraîches, des nouilles ou du riz et plus de protéines. Non seulement les patients approuvent-ils, mais les membres des services alimentaires sont fiers de faire les soupes et de les servir. Nous trouvons aussi des moyens d’inclure plus d’aliments cultivés localement sur le menu et nous informons le personnel et les patients de notre engagement à bâtir une chaîne d’approvisionnement plus durable. Le fait d’inviter le personnel à venir manger avec nous pour déguster le repas du jour des patients est un autre moyen de stimuler la participation.

Pour combler cet écart, il ne suffira pas d’améliorer les repas. Le secteur de la santé a besoin de gens qui s’engagent avec optimisme, des gens qui parlent objectivement de ce qu’il y a dans l’assiette et qui disent à quel point c’est important pour les patients.

Pour lutter contre les stéréotypes négatifs de longue date sur la nourriture d’hôpital, il faut reconnaître l’écart entre la situation actuelle et celle que nous désirons. Pour combler cet écart, il ne suffira pas d’améliorer les repas. Le secteur de la santé a besoin de gens qui s’engagent avec optimisme, des gens qui parlent objectivement de ce qu’il y a dans l’assiette et qui disent à quel point c’est important pour les patients.

J’ai demandé aux employés d’un de nos hôpitaux pourquoi c’était important pour eux de servir de bons repas. Quelle que soit la formule utilisée, le message était clair. L’alimentation est un remède et le remède guérit.

Joignez-vous à moi pour parler autrement de la nourriture d’hôpital!