La révolution commence dans la cuisine: humilité et réflexions tirés de la retraite de Nourrir la santé

« La révolution commence dans la cuisine. » – Annon

Quarante qui ne se connaissent pas sont assis dans une cercle dans une salle de musique au bord d’un lac gelé. Ce sont les innovateurs et les conseillers que nous avons recrutés comme éclaireurs dans ce voyage de deux ans que nous appelons Nourrir la santé. La vision : des centaines de discussions et quelques prototypes en cours. Et maintenant, ma cofacilitatrice Beth et moi-même allons d’une personne à l’autre, passant de l’anglais au français, pour les accueillir de tout cœur à notre première retraite.

Pendant quatre jours, la cohorte passera au travers d’une série de méthodologies – changement systémique, prospectives, développement organisationnel et approche conceptuelle – pour découvrir les outils et les démarches qui nourriront notre apprentissage. Nous allons…

… tenir le coup pendant quelque 1635 heures humaines (oui, les journées étaient longues!) pour permettre aux membres de la cohorte de faire connaissance avec leurs collègues éclaireurs et trouver des indices qui permettent d’établir les premiers pas en avant.



J’ai eu l’impression de vivre un moment historique » – c’est la réflexion qui nous revenait de toutes parts

« J’ai eu l’impression de vivre un moment historique » – c’est la réflexion qui nous revenait de toutes parts : un moment pour trouver des pairs aux vues similaires; surmonter l’isolement du travail dans un milieu qui fonctionne en vase clos; trouver des penseurs sur la même longueur d’onde qui rêvent à plus pour l’alimentation dans les soins de santé; découvrir le pouvoir des questions; reconnaître la possibilité très réelle d’un mouvement de revitalisation des soins de santé nourri par l’alimentation – tout cela mené par le la motivation démontré par les gens et les réseaux représentés à notre retraite sous la neige.

Mais oublions le compte final pour revenir à un incident survenu le premier soir.

C’est un dimanche soir hivernale. Le souper est presque prêt. Quarante personnes qui ne se connaissent pas sont dans une salle de musique au bord d’un lac gelé. L’écho de quarante routes parcourues s’efface avec les premières présentations entre innovateurs – ils vont sans aucun doute emprunter des chemins beaucoup moins fréquentés, ensemble, dans les deux années à venir.

Un des responsables du service de traiteurs du Québec est très drôle. Le groupe éclate d’un rire cathartique et pousse un soupir collectif – ou c’est juste mon soulagement que je projette sur le groupe dont la présence même valide une hypothèse : nous avons besoin d’un réceptacle et d’une communauté comme celle que nous nous apprêtons à tisser.

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Alors, je tombe des nues quand un cuisinier en colère entre en trombe, sans s’excuser, et interrompt une innovatrice en train de se présenter pour nous informer que nous sommes très en retard pour le souper – le poisson est en train de refroidir.

« Hayley, le chef est vraiment en colère contre toi… », murmure une invitée en me voyant sursauter. Le groupe se fige devant l’interruption. Je sens ma crédibilité de facilitatrice de cette discussion avec ce groupe m’abandonner tout à fait. Il existe sans doute une équation pour calculer la tolérance d’un comportement indésirable par rapport à l’offense commise; quelle qu’elle soit, je ne comprends pas ce que j’ai pu faire pour mériter une telle explosion.

Mais bon, n’oublions pas le poisson.

Ce moment est un microcosme du changement de paradigme auquel nous aspirons dans les soins de santé : une plus grande reconnaissance de la valeur de l’alimentation et une priorité accrue accordée à son rôle dans les soins.

Voilà un cuisinier qui incarne tant de vertus que nous voulons souligner dans les soins de santé, qui est fier de sa nourriture, qui veut qu’on respecte le repas – et je l’ai insulté en étant en retard pour le souper, dès le premier soir. Ce moment est un microcosme du changement de paradigme auquel nous aspirons dans les soins de santé : une plus grande reconnaissance de la valeur de l’alimentation et une priorité accrue accordée à son rôle dans les soins.

Nous l’avons répété plusieurs fois dans les jours précédents : le changement part de nous-mêmes. Une de mes penseuses favorites, Donella Meadows, écrit que notre paradigme donne naissance aux systèmes dans lesquels nous vivons et que nous tentons de changer. Si on peut transcender un paradigme, on peut imaginer un nouveau système. On peut reconfigurer les rapports entre acteurs et trouver de nouveaux endroits où se cache une valeur, où se cache un maître.

Je suis allée souvent dans la cuisine cette semaine-là. J’ai écouté le cuisinier. Je me suis excusée d’avoir manqué de respect. J’ai promis de ne plus être en retard. L’humilité est un bon maître. Quand il s’est senti entendu, nous avons commencé à échanger des anecdotes pendant la semaine. Il s’est fendu en quatre pour donner au groupe sa dose quotidienne de caféine et il m’a dit à quel point sa cuisine et son travail comptaient pour lui. Les repas sont devenus un ancrage de nos discussions connectives et créatives. De fait, je crois que la plupart des gens espéraient que ces repas vivants et échevelés durent plus longtemps. Malgré tout le travail de l’équipe pour concevoir des sessions idéales, c’est sans doute sur une nappe colorée que se sont forgés chaque jour les liens qui vont étayer les discussions difficiles des mois à venir.  

la solution est profondément enfouie dans le problème – et dans notre paradigme de ce problème. La seule façon de dénouer le problème, c’est de faire preuve d’empathie et de compréhension envers la douleur de l’autre.

À la fin de la retraite, aucun exploit logistique ni aucun modèle systémique ne m’a donné plus de fil à retordre que cette interaction avec une personne qui semblait de prime abord refuser de façon irrationnelle de s’entendre avec moi. Dans le mode de pensée conceptuel, la solution est profondément enfouie dans le problème – et dans notre paradigme de ce problème. La seule façon de dénouer le problème, c’est de faire preuve d’empathie et de compréhension envers la douleur de l’autre.

Les frontières seront différentes pour les membres de notre cohorte. Ils ne sont sans doute pas assez fous pour se mettre à dos les personnes qui nous nourrissent. Mais pour un changement véritable, il y aura probablement des moments aussi inconfortables (beaucoup plus inconfortables, selon moi). Et ces moments nous forceront à revoir plusieurs de nos convictions. Comme l’a noté la cohorte, bien des premiers pas de la retraite commencent par la conceptualisation, la discussion et le recadrage du problème pour mieux comprendre les douleurs – souvent appelées des obstacles – qui vont nous orienter dans la bonne direction. L’empathie envers les patients, à la fois alliés et adversaires, et le désir de regarder d’abord au fond de soi – c’est ce qui va ouvrir la voie, je crois.

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Nous lancerons une vidéo sur notre site web en mars – et au printemps, une série de webinaires ouverts à toutes les personnes qui veulent faire partie du voyage. Restez à l’affût et inscrivez-vous pour nous suivre ici!